
Disons que Jim nous ressemble beaucoup, à vous et moi. Peut-être surtout à moi. On sent que Jim a eu une vie bien remplie, chargée même, et que ce qu’il veut maintenant, c’est que le monde le laisse tranquille. Parce que contrairement à ce que pense son médecin, lui, Jim, va très bien, c’est le monde qui va mal. C’est ça le problème vous voyez ? Alors le mieux, c’est que le monde ne s’occupe pas trop de lui, et qu’il reste de l’autre côté de la porte. A l’autre bout du pays, à Bennett Texas, eh bien disons que Madison a le problème inverse. Le monde, elle voudrait bien le voir de plus près, et qu’il s’occupe un peu d’elle au lieu de la laisser croupir dans ce trou paumé avec un gosse sans père et un avenir qui ne vient pas. Chacun à l’opposé du problème et du pays, Jim et Madison ne vont jamais se rencontrer et pourtant… sans le savoir, ils vont être chacun la solution de l’autre. Une solution comme seule la vie est capable d’en fabriquer. La vie ou la plume alerte et pétrie d’humanité de Iain Levison. Car une chaîne de personnages et d’enjeux va les relier, comme cette théorie qui veut que tout individu sur terre soit connecté à l’autre par au maximum six degrés de séparation. Six personnes. Au plus. Il en faudra ici à peine moins pour que cette chaîne reliant le Texas à Philadelphie passe par Khost en Afghanistan, Dubai et traverse un roman à la structure virtuose, au style profond et à la fin jubilatoire. Une traversée où personne n’est vraiment ce que l’on croit, à part le monde qui est ce qu’il est, et l’Amérique ce qu’elle devient. Il y a du James Lee Burke dans la capacité de Iain Levison à se servir habilement d’une intrigue policière pour explorer le fond l’Amérique, du John Steinbeck dans l’humanité majuscule de ses personnages et du Jonathan Franzen dans son acuité brillante à appréhender les dérèglements de la société d’aujourd’hui. Mais il y a surtout du Iain Levison, sa capacité à se placer du côté des personnages, en toute justesse à défaut de justice. Une comédie humaine, à la fois noire et lumineuse, où chacun essaie de s’en sortir comme il peut. Par tous les moyens. Provoquant au passage un effet dominos aussi efficace qu’inattendu. Laissant le hasard à ceux qui n’y croient pas, Iain Levison déroule avec brio une intrigue ou rien n’arrive pour rien, et tout peut arriver. «That’s the way that the world goes round » chantait John Prine et c’est comme ça que tourne ce roman remarquablement réussi, qu’on referme avec un coupable sourire de complicité. On sera les seuls à savoir. Et c’est très bien comme ça. Merci pour votre confiance monsieur Levison ! Un voisin trop discret de Iain Levison (titre original : Parallax) aux éditions Liana Levi.