
Une voix dit beaucoup plus que ce qu’elle ne prononce. Une voix rappelle, annonce, séduit, émeut, trahit un imperceptible changement. Une voix murmure, crie, libère, chante. Une voix bégaye, hésite, retient, butte. Une voix découvre. Dévoile. Une voix montre des cicatrices. Comme le corps. C’est la poésie de tout cela qu’exhale ce recueil de nouvelles. La voix. Comme un parfum. La voix qui se dissout dans l’air, et que l’air retient, quelques instants. Une voix qui est encore le corps quand le corps n’est plus. Un souvenir. Une trace. Un message sur un répondeur que l’on tarde à effacer. Une voix dans la radio, sur un enregistrement. Une empreinte. Une emprise peut-être. Ce sont des voix de femmes. De femmes qui disent et se disent. Des voix qui se font plus graves avec le temps. Et avec l’époque. La voix des femmes a baissé depuis une cinquantaine d’années. Depuis qu’elles rallient les lieux de pouvoir. La voix s’adapte. Et quand il faut s’adapter, elle change même en premier, comme celles de Sam ou Kid, dans la longue nouvelle centrale Mustang. La voix de la narratrice y change aussi, même si elle ne le sait pas, dans ses mots, les sensations, le regard. Un voyage. C’est la langue étrangère qui fait ça. Ou l‘endroit. Ou l’étrangeté. Sept nouvelles donc, qui contiennent toutes des voix de femmes, et le mot canoë. En vrai, en pendentif, ou comme une métaphore. Ce qui est à propos, car en grec le mot métaphore signifie transport. Canoë donc. Voix sur les ondes. Tout ce que la voix transporte. D’humain et d’animal. Dans une nature magnifiquement décrite et omniprésente où elle se fond. Au final, Maylis de Kerangal écrit non pas un recueil qui s’écoute -un recueil se lit- mais un recueil qui s’entend. Alors on se prend à tendre l’oreille, transporté par une écriture visuelle, au style pur et lumineux. Charnel. Incarné. Peu de livres font ainsi référence à la voix, avec tant de justesse, d’acuité et de poésie. Celle du vivant. A moi qui ai beaucoup écrit pour la voix, la voix des autres, que ce soit des chansons, des scenarios, des poèmes, ces nouvelles ont parlé, par leurs dits et leurs non-dits, comme une musique. En interprétation. Variations sur la nature. Humaine. La nature humaine. Et je me suis surpris à les relire, comme on réécoute une chanson à peine terminée. Pour les silences entre les mots. De la musique encore. Maylis de Kerangal – Canoës – Aux éditions Verticales