
« Aime-toi, le père t’aimera ». Voilà qui, en détournant un aphorisme connu, nous plonge dans la vie méconnue de Flor de Oro, fille du dictateur Trujillo, le César des caraïbes. Un dictateur aux petits pieds tant son royaume pèse peu sur la scène internationale. Mais il suffit d’une scène, si étroite soit-elle, pour faire un drame ou, comme le dit Shakespeare, un monde. Catherine Bardon a un talent rare pour dénicher des personnages passés sous les radars de l’histoire et nous les raconter. C’est encore une fois, après « Les déracinés », dans cette République Dominicaine qu’elle aime et connaît mieux que personne qu’elle nous emmène, sur les traces d’une femme dans l’ombre terrifiante d’un monstre. Un monstre justement, elle est vouée à le devenir elle-même, mais au sens propre du terme, quelque chose que l’on montre. Une fleur d’or se porte à la boutonnière, ou au revers de la veste. En apparat. Flor de Oro se mariera donc neuf fois. Neuf maris. La moindre passade doit se transformer en mariage pour ne pas écorner l’image présidentielle du père. Les hommes la veulent. Elle en aura voulu quelques-uns. Il y a ceux qui blessent et ceux qui réparent. Plusieurs seront médecins. Ceux qui l’ont aimée. Ceux qu’elle a aimés. Des hommes qui soignent. Mais si l’amour était un remède à quoi que ce soit ça se saurait. Et un pansement aussi. La blessure sans arrêt ravivée s’appelle Profirio Rubirosa. Oui celui-là, le célèbre playboy-diplomate-espion, lui aussi collectionne les épouses, les stars, Danièle Darrieux, Zsa zsa Gabor, les riches héritières. Porfirio, le premier mari de Flor de oro, son premier amant et son grand amour. Un amour impossible, auquel pourtant aucun des deux ne parviendra à échapper. Vaincus par l’histoire, et sans cesse attirés comme des aimants, chacun cherchera toute sa vie à l’oublier dans les autres. En vain. Cette vénéneuse, tragique et magnifique (malgré tout, ou justement pour cela) passion traverse ce livre. Mais comment aimer quand on n’arrive pas à s’aimer soi-même ? Quand on désire l’amour du père autant que l’on hait le pouvoir du tyran? Intelligente et déchirée, Flor de Oro sait que sa vie est une métaphore de la réalité de son pays. Comment se construire un destin quand le dictateur décide de tout pour vous ? Aucun homme n’est une île, écrivait le poète John Donne. Catherine Bardon nous montre ici, dans ce destin brûlant, qu’une femme, au moins, l’a été. La fille de l’ogre de Catherine Bardon, aux éditions Les Escales.