Peupler la colline – Cecilia Castelli

Des fragments. C’est probablement tout ce qu’il reste quand la vie se brise. Des fragments épars. Des fragments d’espoir, d’attente, de chagrin. Des fragments de manque et de vide. Des fragments de souvenirs, de regrets. De culpabilité. De colère et de rage. Mais surtout des fragments de solitude. Restent des voix, éparses elles aussi. Murées en elles-mêmes. Il suffit d’un simple pas de côté. D’une absence. Une disparition. Celle de Romain. Neuf ans. Par exemple. Voilà la structure et le point de départ de ce texte sombre, poétique et enraciné. Cecilia Castelli sait écrire la nature, pas seulement la décrire. Déjà dans « frères soleil » son précédent roman, l’eau des ruisseaux et la pierre sauvage de la montagne exsudaient leurs secrets. Ici la nature, happe, cache, enlève mais aussi fascine, appelle, et protège. Elle est refuge autant que danger. Pour les oiseaux, les chiens et les hommes. Les solitudes y poussent comme des arbres, chacune dans leur écorce. Dans ce récit choral, discontinu, comme les émotions, chacun est affecté par la disparition de Romain lors d’une sortie de classe. La nature s’est refermée sur lui. La nature humaine sans doute aussi. Son frère Thibault le cherchera sans cesse, son ami Frédéric portera à jamais le deuil de leur enfance, l’institutrice Mme Drumont y perdra sa raison, rongée par le remords, ses parents ne cesseront d’attendre et d’espérer. Si Cecilia Castelli sait écrire la nature, elle sait aussi écrire les humains, leurs clartés et leurs noirceurs. Dans ces fragments épars, d’autres solitudes, d’autres manques, viendront se glisser. Se terrer plutôt. Sauvages. Faire, de tous les quand-même, une vie. Alors qu’est-il arrivé à Romain ? Où est-il, lui qu’on n’a jamais retrouvé ? Que s’est-il passé dans sa tête d’enfant à part ? Nous le saurons, entre conte et récit, dans le final, d’une poignante beauté, de ce roman tellurique. Pour l’enfant perdu en chacun de nous. Peupler la colline – Cecilia Castelli – Editions Le Passage

Frères soleil – Cécilia Castelli

Quelle est la taille d’une vie, quand le monde est si grand et la corse si belle ? Voilà la question que pourraient se poser les personnages de frères soleil. Une question qu’ils ne se posent pas, en tout cas en ces termes, mais qui irrigue le roman. La réponse se trouve dans la nature sauvage et secrète de l’île, mais aussi et surtout dans les pas d’une famille meurtrie, tiraillée entre deux mondes, le passé et le présent, ailleurs et ici, nous et les autres. Car le long du fleuve Taravo, de son inexorable et tumultueuse descente vers la mer, se déroulent les jours, leurs cruautés et leurs beautés. Et puis la nuit bien sûr. La nuit que l’on porte en soi. Les histoires et les traumatismes familiaux. Les douleurs transmises en creux. De génération en génération. Les épreuves reçues et infligées. Les fiertés. Les mystères. Les espoirs. C’est cet apprentissage que vont faire les deux frères, Baptiste et Christophe, et leur cousin Rémi, qui vit sur le continent et ne revient que pour l’été. Rémi qui se mesure à l’aune de ces deux cousins. Pour ce trio, qui court le maquis, les jeux d’enfants préfigurent les choix d’adultes. Une géométrie des rapports aux autres et au monde. Car le temps passe, comme la rivière coule, et comme volent au vent les jupes des filles. Vient le temps des émois et des jalousies. Le temps du devenir. Le temps de passer des épreuves aux preuves. Alors les hommes se construisent comme des maisons de pierre dure. Pour résister à leur destin. Et aux multiples destins qui le nourrissent. Un grand père assassiné. Un enfant qui n’est pas né. Une voiture tombée dans un ravin. Une grand-mère guérisseuse et crainte. Une femme partie. Une fillette laissée. Un cousin revenu. Une disparition que l’on veut mystérieuse. Le ciment qui les tient pierre à pierre sera celui de la violence. D’un « nous » qui se définit contre « eux ». Les choses vues. Les choses tues. Traversant ainsi les générations se perpétue le destin d’une famille, son attachement à sa terre, à ses figures, ses blessures jamais refermées, ses bonheurs et ses belles heures, mais aussi ses noirceurs. La beauté toute d’ombre et de lumière de cette île aussi aride que généreuse. Ecrit dans une langue au style épuré et précis, frères soleil se lit lentement, de peur d’en rater une ligne, et nous emmène dans les remous d’un fleuve obstiné, entre fatalité et résistance, tradition et avenir, celui où naissent les amours et se bâtissent les hommes, de chair, de sang et de larmes. Celui qui se jette dans la mer. Toujours elle. Ceux et celles qui auront lu Mollusques, le premier roman de Cecilia Castelli, s’étonneront peut-être de ne pas en retrouver la verve déjantée. C’est une des grandes forces de Frères soleil, dont le style fait corps (et surtout âme) avec son sujet. Un roman intense. Minéral. Profond. Réussi. Frères Soleil de Cecilia Castelli – aux éditions Le Passage.