Habitant de nulle part, originaire de partout – Souleymane Diamanka

La poésie, cette longue hésitation entre le son et le sens, disait Paul Valéry. D’hésitation, ici, il n’y a pas, car le son et le sens sont un, dans la voix. Et la voix est présente partout dans les poèmes de Souleymane Diamanka. Prendre la parole et devenir un de ces grands arbres dont les fruits sont des phrases. Chaque mot y est pesé, comme ces grains de sable qu’on laisse échapper de la main, en poignée. Le sable du désert. Celui des dunes sous une lune presque turquoise. Celui aussi des rues vides des grandes villes. Où l’enfant Peul veille sous les étoiles. Pour ne pas que les bâtiments s’enfuient, la nuit nous les gardions, nous étions les bergers immobiles, d’un bétail de béton. Un berger hébergé par les étoiles. Chaque poème de Souleymane Diamanka est voyage. Et chaque voyage qu’il soit celui des pas, celui des idées ou celui des lèvres sur une peau aimée, est une célébration. Celle de la vie. Celle de l’amour. Celle de la terre et du ciel. Avec une compassion affirmée pour ses semblables, les humains, Souleymane le magnifique prêche le désert pour ne pas prêcher dans le désert. Parler couramment la langue du fer et de l’or, de la faune et de la flore, des faibles et des forts, des esprits et des espoirs. Et sa voix porte. Elle salue le vieux Sahara, celui des Peuls, dont lui Souleymane Diamanka, dit Duajaabi Jeneb, fils de Boubacar Diamanka dit Kanta Lombi, petit fils de Maakaly Diamanka dit Mamadou Tenej, est l’héritier. Un désert à la taille du ciel immense au-dessus. Un monde à marcher. Chaque poème est ici voyage. Celui d’un enfant du monde. Pour être humain autrement. Alors en voyage on lira de pures merveilles comme Réponds-lui avec de l’eau, Mademoiselle à vol d’oiseau, ou Papillon en papier (comme une fleur sentimentale, qui aurait appris à voler en battant des pétales). On suivra une sirène des sables. Une muse amoureuse. On dit que faire l’amour s’est ne plus sentir, la différence entre donner et prendre du plaisir. On traversera l’hiver Peul, qui ouvre ce recueil, comme une initiation, une invitation. Fête des sens et du sens, ce livre se lit autant qu’il s’écoute, tradition de l’oralité oblige, comme nous en prévient avec justesse Oxmo Puccino dans son très bel avant-dire. Quand on lui parlait d’un poète, Saint-John Perse demandait invariablement : est-il musicien ? Ceux qui liront cet ouvrage en entendront la mélodie fluide et profonde. A l’heure où il est de bon ton de trouver des pépites littéraires partout, on aura cette fois l’aubaine de découvrir un véritable diamant, aux mille facettes, scintillant de cette majesté humaine qui donne en partage ce qu’elle a reçu, le bien précieux qui nous a été confié. Il serait dommage de s’en priver. Car en ces temps de réclusion, prendre entre ses mains un tel trésor ne peut faire que du bien. Habitant de nulle part, originaire de partout –  Souleymane Diamanka aux éditions points poésie, dirigée par Alain Mabanckou.

Jonathan Franzen- Purity

Un gros roman américain (vous êtes prêts pour 700 pages ?) qui se double d’un grand roman. J’ai rarement lu un roman aussi intelligent, au sens propre du terme : qui a la capacité de connaître et comprendre (dictionnaire). Jonathan Franzen connaît et comprend son époque, ses enjeux, ses lumières et ses noirceurs. Et il l’écrit avec justesse. Sans doute parce qu’il fait montre d’une extraordinaire empathie pour ses personnages, abondamment décrits et dont il dresse des portraits psychologiques fouillés. De l’effondrement du mur de Berlin aux lanceurs d’alerte, Snowden, Assange, des dérives d’un internet qui a fait élire Trump (je cite Franzen) aux mutations d’un journalisme plus indispensable que jamais, ce roman est construit autour d’une intrigue qui n’a rien à envier aux meilleurs romans d’espionnage de John Le Carré, mais ce sont ici les personnages qui sont mis en avant et Franzen prend le temps de rester avec eux. Il avance doucement mais cette apparente lenteur recèle des merveilles d’écriture et d’observation. Franzen est un styliste, mais aussi un puncheur. Certaines phrases, au milieu d’un paragraphe vous frappent comme un upercut. On s’arrête parfois quelques instants pour reprendre son souffle. Ce roman, qui trace sa route dans les remous de la disruption, est aussi un magnifique roman d’apprentissage, plein d’amour, de fureur mais aussi d’espoir, au travers de la quête du personnage principal : Purity. Ne vous laissez pas détourner par une couverture et une « quatrième » française racoleuse, (la couverture anglaise me semble plus pertinente). Je recommande d’ailleurs de le lire en anglais si vous le pouvez, car l’écriture limpide de Franzen y trouve toute son acuité, sinon la traduction française fera l’affaire. Amen.