Le matin est un tigre – Constance Joly

Avec un titre comme celui-là, on sait que l’on va se trouver confronté à un texte d’une poétique beauté. Alors on appréhende un peu de l’ouvrir. On retarde le moment. Et puis on l’ouvre. Dès les premières lignes, on est rassuré autant qu’inquiété. Rassuré car la promesse flamboyante du titre est tenue par l’écriture, finement ouvragée. Inquiété, car rien n’est quiet dans ce roman intranquille, où tous les sens sont en alerte.« Sous le ciel blanc, le fleuve a une couleur de mercure ». Peu de romans sont à ce point portés par leur écriture. Une écriture qui retient son souffle pour le garder à l‘intérieur. C’est un roman de l’intérieur. Un roman qui transpire la beauté comme le corps transpire la sueur pour chasser les toxines de l’effort, parce que c’est nécessaire, vital. Un roman de l’intérieur. Tout en style. En figures de style. En superlatifs. Presque trop en tout. Inquiet, mais perclus de moments de grâce (comme le sabot léger d’une biche qui s’approche), et de douceur. Une dépression, une fusion, une tension. Un fil tendu au-dessus du gouffre qui appelle le geste qui rétablit. Car c’est bien de rétablissement qu’il s’agit. Celui de Billie, atteinte d’un mal mystérieux que la médecine ne peut expliquer, et que seule Alma, mère fusionnelle et insécure, peut identifier. Pour elle, c’est un chardon qui pousse à l’intérieur de la poitrine de sa fille, comme une maladie, comme le nénuphar de « L’écume des jours » de Boris Vian… Un mal dont elle, Alma, se sent coupable, et dont un voyage en Bretagne, à l’appel du hasard, mais surtout un voyage intérieur -un roman de l’intérieur- apportera de façon cathartique la double délivrance. Un roman de réconciliation, de guérison, mais surtout de libération, qui interroge de façon impressionniste le poids de ce nous transmettons à nos enfants de nos histoires, nos angoisses, notre mal-être, malgré nous. Le poids des valises que l’on traîne. Et les liens aussi invisibles que puissants qui nous relient. On y est dans l’impression (au sens aussi où il nous imprègne). Le lecteur doit parfois faire pause, dans tant de foisonnement, troquer le sens pour les sens, et juste se laisser aller à éprouver, avec la torpeur des rêves où tout abonde. En chacun de nous est aussi un jardin, une jungle dense peuplée de tigres, de loups, de serpents à écailles, guirlandes de fête, de visions et d’émotions, animales, venues du fond des temps. La vie, comme un chardon de beauté et d’épines, y a besoin pour pousser, d’eau et d’un peu de place. On peut appeler ça la liberté. Ou l’amour. Ou apprendre que les deux sont la même chose. Le matin est un tigre. Constance Joly. Flammarion.