Les aventures d’un scénariste à Hollywood – William Goldman (traduit par Jean Rousselot)

Tout y est. Les films qui se sont tournés. Ceux qui ne se sont jamais faits. Les belles rencontres. Les scènes fortes. Les dialogues de légende. Les réalisateurs qui démolissent les scripts. Les producteurs qui font défaut. Ceux qui tiennent et portent les projets avec passion. Les bons et les mauvais acteurs (certains en prennent pour leur grade). Les trahisons. Les coups de gueule. De poings. De cœur. La traversée du désert, dix ans sans rien qui se fait. Et puis le retour en grâce. Le succès à nouveau. Les petites et les grandes histoires. Mais surtout les scénarios. Les innombrables réécritures. Les points de vue qui s’opposent. Les concessions. Les progrès aussi. On pourrait écouter William Goldman résumer tout cela à deux phrases, 1) Personne ne sait rien. 2) Un scénario c’est une structure. On pourrait arrêter ce livre dès son intro. On aurait tort, car Goldman, un des derniers « mensch » de ce métier, s’y livre avec une franchise rare. Il passe en revue ses grands succès, Butch Cassidy and the Kid, Marathon man, Princess bride, Les hommes du président, L’étoffe des héros, Un pont trop loin… comme ses pires ratages. On y apprend beaucoup sur la genèse parfois surprenante de ces films, mais aussi et surtout sur l’écriture elle-même. Exemples et extraits à l’appui. Cet ouvrage, remarquablement traduit par Jean Rousselot (qui sait de quoi il parle), regroupe les deux livres de Goldman (aussi romancier) sur ce sujet. J’avais lu le premier en anglais. Je découvre le deuxième, qui couvre les années suivantes, avec le même intérêt. Moins bravache que les savoureuses mémoires de Joe Eszterhas, traduites chez le même éditeur, cet ouvrage passionnera ceux qui s’intéressent au cinéma et à l’écriture. A ceux qui (comme moi) les pratiquent, il rappellera beaucoup de choses vécues. Personne ne sait rien. Rick Rubin dit mot pour mot la même chose quand il parle de création. Mais certains, savent rien mieux que d’autres… c’est le cas de William Goldman. Et c’est tant mieux pour nous, lecteurs de ce livre. Les aventures d’un scénariste à Hollywood, de William Goldman (traduction de Jean Rousselot), aux éditions Capricci.

Georges et Carmen – Jean Rousselot

« Ce qu’il faut de chaos pour accoucher d’une étoile filante » écrivait Nietzsche. Nietzsche qui justement se plait à raconter qu’il a vu vingt fois l’opéra de Mr Bizet, Carmen. « A l’entendre on devient soi-même un chef d’œuvre », ajoute-il. Le roman de Jean Rousselot, écrit d’une plume alerte et sensuelle, nous emmène au cœur de ce chaos, c’est à dire de cet accouchement. Autrement dit : comment Georges Bizet, génie empêché et docile va enfin advenir de lui-même pour écrire une œuvre majuscule, son œuvre, pas une enième commande dont il a accepté de rogner les ailes pour plaire au public et surtout ne pas déplaire à ceux qui ont le pouvoir de décider. De toutes ces petites concessions et ces grandes lâchetés, Bizet a fait son quotidien, sa carrière. C’est sa chance d’être joué et c’est sa limite. Jusqu’au jour où… Bizet rencontre le personnage de Carmen dans une nouvelle de Prosper Mérimée. Jusqu’au jour où… Bizet rencontre la cantatrice Célestine Galli-Marié. Une femme libre, de ses idées et de son corps, qui sait dire non et faire de ses oui une exigence. Une femme. Une œuvre. Les deux vont se confondre pour le brûler de l’intérieur jusqu’à le consumer. Il devra se battre contre tous et surtout contre lui-même. Enfin. Encore. Jean Rousselot est cinéaste, il a le sens des scènes et de la dramaturgie et certaines pages, où l’on sent naître l’inspiration et le courage dans le trouble des sens, sont d’une rare intensité. Beaucoup de scénaristes, de compositeurs ou d’auteurs se retrouveront au passage dans ce que doit affronter Bizet, les œuvres abîmées, les pressions, le nivellement par le bas imposé, se conformer à la médiocrité pour avoir une chance d’exister, de nourrir sa famille, et les leçons de piano qu’il donnera jusqu’à la fin de sa vie pour payer son loyer. C’est dans l’insolente liberté de Célestine que Bizet trouvera la force de s’affranchir de tout cela pour cette fois-ci écrire l’œuvre qu’il voulait. Celle de sa vie. Carmen. Il en mourra. Pour gagner l’éternité. De ces choses que seul l’amour peut faire. Et que ce magnifique et poignant roman nous fait vivre comme une valse enfiévrée. Réussi ! Jean Rousselot – Georges et Carmen – aux éditions Phébus.