Un invincible été – Catherine Bardon

Alors voilà, tout est fini mais tout continue. Le récit tourne comme le monde, dans un kaléidoscope aux mille facettes et aux mille couleurs. Celui de tous ces personnages. Toutes ces vies qui s’entremêlent, des rivages bleus de Saint-Domingue jusqu’au bitume fumant des avenues de New York. Des vies brisées qui se réparent. Ce sera cette fois celle de Nathan, danseur fauché par un accident, ou de David, miraculé de l’effondrement des Twin Towers, qui devront se réinventer, comme l’ont fait les leurs en arrivant en République Dominicaine, passant d’intellectuels à fermiers. Et toujours celle de Ruth, d’Almah. Vivre au lieu de survivre. Il y a cette force et cette formidable leçon dans les personnages de Catherine Bardon. Cette liberté suprême d’aller au-delà de soi sans jamais se perdre. Une profession de foi, en l’homme, en l’humanité, dans la grandeur de la vie qui, comme le bonheur du poème de Robert Frost, se fait pardonner en hauteur ce qu’il lui manque en longueur. Et l’amour. Un amour de l’humanité qui commence par celui de la famille. Le premier cercle des autres. Avec ses peines, ses joies, ses déchirements, ses rivalités aussi, mais ces liens indéfectibles qui la gardent une, unie, même à des milliers de kilomètres de séparation. La famille. Celle du sang, et en cercle autour celle du cœur. Choisie. Et un autre cercle après, celui du lieu. De l’endroit. Du pays. Chaque secousse sismique de l’époque va se répercuter à travers tous ces cercles, effet papillon, à partir de cet épicentre : les personnages magnifiques de ce roman en quatre actes. Quatre actes qui interrogent l’identité et la résilience. Car la saga des déracinés, tirée de l’histoire vraie et injustement méconnue de familles juives fuyant les pogroms, puis la Shoah, et trouvant un refuge inattendu dans l’île du dictateur Trujillo, est, comme son nom l’indique, une histoire de racines. Celles que l’on garde en soi, qui puisent loin profond dans le passé, et celles plus légères et volubiles qui nourrissent le présent et tissent l’avenir. Un enracinement. La nouvelle génération. Gaya, à l’image de son nom, va vers la nature, la terre. Prendre racine encore. Mais surtout les laisser courir. Libres. Commencé dans la brûlure des premiers brasiers de la haine, cette formidable saga se termine logiquement après la chute du mur de Berlin. Un monde d’après, qui accouche dans la douleur d’un monde d’après. Le nôtre. Catherine Bardon à un indéniable talent de conteuse. Cette longue fresque le déroule jusqu’à nous, avec toujours la même bienveillance, au sens propre du terme. Garder les yeux ouverts. Parce que c’est ça, la vie. Alors on est heureux d’avoir gardé les yeux ouverts pour lire ce dernier tome à la suite des précédents. On aura vu beaucoup, et beaucoup vécu avec ces personnages qui ont traversé les évènements et les époques, autant qu’ils ont été traversés par eux. Une leçon d’histoire, comme une leçon de choses. Celles de la vie. Un invincible été de Catherine Bardon (dernier tome de la saga « Les déracinés »). Aux éditions les Escales. 

Un jardin au désert – Carine Fernandez

Un roman porté par un beau personnage, haut en couleur et grand en humanité. Le vieux Talal, amoureux des femmes, de la vie, et de son jardin. La façon dont il va se révéler et se raconter au travers de sa relation avec Rezak, modeste jeune jardinier Egyptien. C’est une grande rencontre et un beau voyage qui nous emmène, de lumières en odeurs, de goûts en gestes, dans la poésie de ses mots, ses tournures, au plus profond de cette Arabie si peu connue, décrite dans une langue riche et sensuelle qui mets les âmes à fleur de peau. Il y a les beautés, il y a les duretés, ce mélange paradoxal d’archaisme et de modernité, incarné (au sens propre du terme – en chair) dans des personnages complexes, humains, donc aimables autant qu’aimants. J’ai beaucoup appris sur ce moyen orient, ce morceau de désert, où se télescope ville et désert, chaleur et pluies extrêmes, tradition et modernité, rigorisme et prospérité avec Talal. Amoureux, roublard, poète, jouisseur, humain jusque dans ses pires défauts, on se prend à aimer ce vieillard qui pousse son dernier cri de lion, rugissant à la face de sa famille décevante, de cette société corrompue, injuste, il reprend la barre. Même las de tout il n’a pas renoncé à être vivant, une dernière fois. Ce que les hommes font de leur vie. Et quel magnifique chant d’amour pour ces femmes, Mama Aïcha, Louwla l’insatisfaite, plus vraie que vraie, Sylvia.  Dahlia la rebelle, l’aimée et Rezak ce fils choisi, qui se sont trouvés dans l’amour commun que leur porte le vieux « Jeddoh », comme il semait les fleurs, les fruits, au jardin dans sa retraite hors du bruit. Magnifique métaphore au demeurant. Et la vraie richesse de donner sens à sa vie. C’est réussi de bout en bout. J’avoue que je n’avais pas vu venir la fin, et pourtant elle est si…Talal, que j’aurais dû !!!! Il y a beaucoup de grandeur et de majesté dans cet homme complexe et parfois tourmenté, jusque dans ses faiblesses. Sauvé toujours par sa soif inétanchable de jouir, d’accomplir, de faire pousser, d’aimer, de vivre quoi…. Ecce homo ! Un jardin au désert, de Carine Fernandez. Editions les Escales.

L’américaine – Catherine Bardon

Devenir de là où l’on est, rester de là où l’on naît. Ce deuxième roman continue à explorer cette question. « Les déracinés », dont il est le prolongement racontait l’épopée extra-ordinaire (je ne connaissais pas cette histoire) mais vraie de ces juifs chassés d’Autriche qui se retrouvèrent malgré eux à fonder une communauté agricole en République Dominicaine, à Sosùa, au début de la deuxième guerre mondiale. Des intellectuels devenus paysans. Des hommes et femmes qui durent se réinventer, se construire une vie, alors que la shoah dévastait leurs familles, leurs amis, tous ceux qui n’avaient pas pu partir à temps… Construire une vie, là où l’on est, que l’on ait choisi ou pas d’y venir, décider d’y être enfin chez soi quand viendra le choix de pouvoir repartir… Une question – et toutes celles qui en découlent- portée par des personnages, Wilhelm et Almah, Markus, Mirawek, Svenja, justes, complexes, dans leurs forces et leurs failles et qui bien sûr y trouveront des réponses différentes. Le tout appuyé sur un solide travail de documentation jamais pesant, où l’on apprend à chaque page. « L’américaine » en est la suite… avec la génération suivante (et bien sûr celle-ci dont il continue à suivre le parcours) Ruth, la fille de ces « réfugiés », entame une carrière de journaliste dans le NY des années 60, en plein cœur des luttes civiques et des années Beatnik… Là où ses parents « vieille Europe » se confrontaient au « nouveau monde » hispanique des caraïbes, leur fille, née dominicaine, et « paysanne » donc, se confronte à l’Amérique des années soixante (lutte pour les droits civiques, Beatniks, assassinat de Kennedy…) et dans sa ville majuscule NY. Je craignais de ne pas avoir le même intérêt car cette fois, les évènements et les lieux sont bien connus. Il n’en n’est rien, tant les personnages sont forts et les questions qu’ils portent se prolongent au travers des convulsions du monde et des époques. L’américaine, de Catherine Bardon. Editions Les Escales.

Les meilleurs amis du monde- Gilly Macmillan

Bristol. Aujourd’hui. L’inspecteur Clemo, de retour au travail après un épisode dépressif dû à une affaire précédente, se retrouve chargé d’enquêter sur une affaire délicate : le corps d’un adolescent a été repêché dans le canal. Le jeune Noah Sadler est entre la vie et la mort. Un témoin affirme avoir vu un autre garçon avec lui, vite identifié comme étant son meilleur ami Abdi Mahad. Noah est blanc et fils de bonne famille, Abdi est fils de réfugiés Somaliens. Dans une ville sous tensions raciales, dont la trace des émeutes jonche encore les rues, le policier sait que la moindre bévue peut avoir des conséquences terribles. Chacun, familles comme policiers, va devoir se confronter à lui-même, à ses blessures et à sa part d’ombre. Cette trame de polar sert de fil rouge à la romancière (et photographe) Gilly MacMillan pour nous entraîner dans la ville de Bristol et sa réalité sociale. Pétri d’humanité, ne cédant ni au cynisme, ni à la naiveté, ce roman déroule une enquête aux rebondissements complexes à mesure que se retissent les fils de cette soirée. C’est aussi – et c’est sans doute plus inattendu pour un polar- un livre lumineux. La fin, surprenante et pourtant parfaitement évidente, est aussi grave que belle. Un peu plus qu’un polar, donc ! Les meilleurs amis du monde, de Gilly Macmillan. Editions les Escales. Pocket.