La vengeance des perroquets – Pia Petersen

L’homme est dans une cellule. Il ne sait pas pourquoi il est là, ni où il est, ni ce qu’on lui reproche. Le gardien ne lui dit rien. Il est enfermé. A l’intérieur. Emma, elle, est enfermée à l’extérieur. Elle sait pourquoi elle est là, la pandémie. Et dans une autre sorte de prison, le confinement. Une heure par jour seulement pour sortir avec une attestation. Comme la promenade du prisonnier dans la cour. En faisant le parallèle entre les deux privations de liberté, Pia Petersen, dessine en noir les contours d’un monde où les libertés sont de plus en plus contenues. Les contenants en sont autant de prisons. De pierre ou de virus. Au travers de ce jeu de miroir, qui va se révéler bien plus qu’un reflet, elle interroge notre présent et surtout son « à venir » immédiat. Car ce qui vient est déjà là. Que sommes-nous prêts à accepter quand les algorithmes qui auscultent nos smartphones savent tout de nous, quand les intelligences artificielles conditionnent nos choix ? De quoi sommes-nous encore libres ? La réponse ne peut venir que de deux formes de rebellions ultimes : l’amour et l’art. Et l‘amour de l’art. Et l’amour de l’amour, qui va fédérer partout dans le monde des « artivistes » prêts à se risquer à la liberté. Pia Petersen croit à la puissance du commun. De tous ces « je » qui se rassemblent pour faire un « nous » dans un monde qui isole de plus en plus. Dans son précédent roman, le très steinbeckien Paradigma, les sans-abris se rassemblaient pour marcher sur Hollywood. Ici, les artivistes se retrouvent sur internet pour s’opposer à l’emprise des nouveaux pouvoirs qui séparent pour mieux contrôler. Mais c’est surtout une formidable histoire d’amour, charnel et absolu, entre Emma et Achille, que délivre ici, au sens propre du terme, Pia Petersen. Voilà la supériorité inaliénable de l’humain sur la machine. La condition de sa liberté. Et la force de ce roman mené cœur battant de Los Angeles à Paris. City of angels. City of lights. Surtout les lumières. Et toujours l’amour. La vengeance des Perroquets, de Pia Petersen – Editions Les arènes.

Paradigma – Pia Petersen

Hollywood boulevard. Hollywood comme le concentré, le parangon et le flagship de notre société malade de ses mirages. C’est là que Luna, jeune Hacktiviste, rêve de faire converger les pauvres, les déclassés, les sans-abris, toutes ces silhouettes fantomatiques qui glissent comme des ombres, omniprésentes, dans les rues de Skid row, de San Diego, de partout. Les oubliés, les invisibles. Ils sont si nombreux que s’ils se regroupaient pour une grande marche qui ne s’arrêtera que quand ils auront obtenu leur dû, celui de tout être humain, le droit de vivre dignement, (soit en terme hollywoodien leur part du gâteau) … rien ne pourrait les arrêter. Changer le monde. Changer de paradigme. Une fois pour toute. Une fois pour tous. Alors la veille des Oscars, ils commencent à se rassembler… Pour un grand roman, écrit d’une plume nerveuse, urgente, faite de phrases courtes et cinglantes. Un roman au présent qui court, multiplie les angles, les personnages, les points de vue avec toujours une capacité de description et une acuité si juste qu’elle en est presque douloureuse. Elle est douloureuse. Et magnifique. Car le roman est traversé d’une rage éperdue, d’un espoir absolu, d’un amour de l’être humain infini. On restera longtemps hanté par ces personnages aux destins brisés qui font acte de vie dans le chaos. Un roman qui pourrait s’appeler boulevard du crépuscule (Sunset boulevard) mais qui brûle comme une aube incandescente. Il y a du Steinbeck dans cette colère et dans l’humanité bouleversante qui l’irrigue. Et du Ridley Scott dans la mise en scène surmultipliée de cette fresque à la modernité visionnaire. Steinbeck meets Ridley Scott donc. Et l’écriture brillante de Pia Petersen en plus. Chapeau ! Paradigma de Pia Petersen, éditions Equinox – Les Arènes.