
L’Etang de Berre, un endroit ravagé par la pétrochimie, et même une zone Sevezo. Les usines. La fumée au loin. Les odeurs de métal et de benzène, à portée de rive. Pas vraiment l’endroit dont on attend de la beauté. Et pourtant de la beauté il y en a à revendre dans ce roman. La beauté d’être. La beauté des êtres. Incarnée par des personnages extraordinairement vivants. Une sorte de famille rapiécée. Recousue. Retissant sans cesse ses liens, comme ces filets de pêcheurs qu’ils relèvent dans le chenal. La beauté aussi du regard et de l’écriture. L’auteur, Sigolène Vinson, sait révéler d’un petit détail, presque rien, la partie émergente d’une complexité humaine, d’un déchirement, d’un combat. Elle embrasse cette humanité, celle des petites gens, qui font avec presque rien des vies plus grandes qu’eux-mêmes, avec une infinie tendresse. Une ode âpre et sensuelle, servie par une capacité à dire rare, jusque dans le rendu des odeurs, celles enivrantes des corps, celles suffocantes des usines. Et puis la mer… l’étang… les poissons, ces muges que l’on suit et qui traversent le roman comme un fil de ligne, sur un ton aussi ludique que savant. Ce roman s’ancre (s’encre ?) dans cette profondeur du vivant, du destin, où le bonheur fragile et incertain se bâtit sur les drames, les malheurs et les errances. Une célébration de cette humanité de joie, de douleur et de courage, socialement écrasée mais debout tant qu’elle aime et respire (même la fumée des usines), s’efforçant de ne pas se perdre. J’avais été KO debout à la lecture d’un précédent roman du même auteur « Le caillou », d’une virtuosité rare. Celui-ci m’a porté comme on se sent porté en triomphe, simplement parce qu’on est un être humain, plein de défauts, de lâchetés, de défaites, mais pour qui chaque jour passé est une victoire. Sigolène Vinson. Maritima. Editions de l’observatoire.