S’adapter – Clara Dupont-Monod

Certaines pluies lourdes et violentes inondent le sol et glissent à sa surface, le laissant dévasté. Rien n’y pousse, rien n’y abonde, que la désolation. Parfois, à l’inverse, de douces pluies de printemps qui se déversent goutte à goutte, larme à larme, infusent dans la terre et descendent jusqu’à la racine, là où les choses poussent, fleurissent, s’épanouissent. Ainsi va la nature. La nature humaine et la nature où elle advient. Ainsi va aussi ce roman écrit d’une plume simple et limpide qui laisse par instant jaillir un éclat, une fulgurance, bref un trésor tout entier dans une phrase. Il ruisselle sans inonder. Il nourrit et infuse. Il noue. Les liens ici sont ceux de la famille. Une famille où naît un enfant lourdement handicapé, un enfant incapable de marcher, de tenir sa tête droite, privé de parole, aveugle, emmuré en lui-même. Cet enfant va devenir le centre de gravité de la famille. Le centre et la gravité aux deux sens du terme. « Cet être n’apprendrait jamais rien et de fait, c’est lui qui apprenait aux autres ». Il va donner à chacun une place, un être. Il y aura donc l’aîné, la cadette, le dernier et l’enfant. L’enfant qui ne sera jamais qu’un enfant. Les autres se bâtiront chacun à leur façon, chacun à leur leçon, à l’aune de cet enfant empêché. Ils grandiront et se grandiront dans l’amour immense qu’ils se découvriront, parfois avec peine, toujours avec force. Dans ce roman magnifique de douceur, la nature omniprésente et si bien écrite est porteuse de joie. Les sons, les goûts, la caresse de l’eau du torrent, le bruit léger des feuilles dans le vent, chacun y communie autour de ce qui est libre et accessible à tous. Une nature sauvage et pourtant rassurante, qui regarde les hommes pour ce qu’ils sont et nous invite à les accepter avec elle. De toutes beautés. S’adapter de Clara Dupont-Monod – aux éditions Stock. Prix Goncourt des Lycéens 2021. Prix Femina 2021.

L’Albatros – Nicolas Houguet

l’Albatros est un texte beau et profond. L’auteur s’y livre avec beaucoup de sincérité mais aussi d’empathie. Il parle de lui mais il parle de nous, d’une écriture claire, même dans les moments sombres. De son handicap. Mais ne sommes-nous pas tous handicapés devant l’amour ? L’amour justement y est omniprésent, d’abord et encore. Celui des parents. Celui pour les parents, le frère, et pour Elle, celle, si proche, qu’il ne voit plus qu’a distance, dans la foule de la fosse du concert, quand lui est loin, placé dans son fauteuil roulant près de la console de sonorisation. Triste métaphore d’une séparation plus profonde. Ecrit à la première personne, le livre émouvant est porté par la voix sincère et sensible, remarquablement lucide aussi, de son auteur. Nicolas Houguet est un écrivain, c’est à cela qu’on les reconnaît, à leur « voix ». D’ailleurs, il y a un côté «beat » dans le « parlé », l’importance de la musique, de la transe, du trajet, la façon dont il décrit les autres, dont ils ont incarnés, présents. On pense à Kerouac et par moments au backstage des concerts de la Rolling thunder review de Dylan. Le fil «conducteur » du livre est d’ailleurs un concert de Patti Smith qui revient par vagues (il y a du rythme…) et donne cette « immersion » supplémentaire, au fil des reprises … plus qu’une bande son…c’est entrelacé (le mot est précisément choisi), comme un mix d’album, ça fait un tout, et ça, c’est très fort. Surtout pour un musicien comme moi. De la musicalité, il y a en a aussi dans les phrases, les pages qui d’ailleurs s’épurent de plus en plus en voguant vers « Because the night… ». Fondu au bleu-nuit. Coda. Bravo. L’Albatros de Nicolas Houguet, éditions Stock.

D’origine italienne – Anne Plantagenet

Qu’il est grand ce voyage sur les traces du grand-père. La ferme, l’usine de brique, la guerre, l’histoire de ce « quart » de soldat que l’on suit au travers des lieux gravés sur ses parois. Et qu’il est beau regard sur la mère. La famille donc. Les rencontres, les mariages, naissances, les joies et les bonheurs, les pudeurs, le courage toujours. Et surtout le moment qui te choisit plus que tu ne le choisis. L’auteur s’y livre et s’y délivre tout autant. La nécessité, devant la difficulté de tourner une page, de remonter celles d’avant. Celles d’avant l’avant, le poids (et l’élan) de la transmission familiale qui se transporte de génération en génération, qui nous définit et définit aussi nos choix et nos histoires, en plein ou en creux. D’où l’on vient pour savoir comment aller. C’est « centré ». Ce qui est dit sur ce moment est très juste et justifie (au sens propre) le livre au-delà de « leur » histoire. On ne perd la voix due la narratrice pas dans le récit. Vraiment très bien conduit. On avance avec elle vers ce voyage redouté, repoussé, retardé, vers le Frioul. Réconciliation. Et puis tous ces personnages qu’Anne Plantagenet nous rend si proches qu’on a l’impression de les connaître. C’est aussi à travers eux une belle et juste traversée de l’époque, de l’humble grandeur des hommes et des femmes qui l’ont faite autant qu’elle les a faits. Ça s’appelle d’origine Italienne, ça pourrait aussi s’appeler une famille Française. D’origine italienne d’Anne Plantagenet. Editions Stock.