Des humains sur fond blanc – Jean-Baptiste Maudet

Noir sur blanc. Sol y sombra. Remplacez l’arène par la toundra. Le sable brûlant par la neige. Le taureau par un tigre fantomatique, et le matador par une trinité composé du père pas peinard, de la fille du coin et de la saine d’esprit. Vous êtes prêts à affronter les vastes espaces de Sibérie à la poursuite d’un troupeau de rennes contaminés par la radioactivité qui se promènerait sur les routes. Impossible, il n’y a pas de routes en Sibérie ! Un road-movie sans route donc. Ici rien ne relie les hommes que les hommes. En embarquant dans un vieil Antonov déglingué – on a les transports qu’on peut dans un coin pareil – on bombe le torse au lieu de cambrer le dos. Et on ouvre les yeux. La nature immense, vue de haut, remet les idées en place. A la taille des petites choses. « Le monde d’en bas n’est plus qu’un petit monde, des petits corps, des êtres délicats de quelques millimètres ». Alors il ne reste plus aux personnages qu’à devenir plus grands qu’eux-mêmes. Plus humains que les humains qu’ils étaient, sont, seront sans doute. Car le passé, le présent et l’avenir se touchent comme se touchent le ciel et la terre, à l’horizon, fondus dans le même blanc. Dans l’absurde d’un monde où plus rien n’a de sens, il faut bien trouver une direction. Ce sera celle du grand nord, ses mirages et ses mystères. C’est ainsi que les hommes vivent. Jean-Baptiste Maudet excelle une nouvelle fois à camper des personnages perclus d’humanité, débordant de vie comme une rivière d’orage. De l’orage, on en traversera en chantant Pouchkine. Des rivières immobiles, on en creusera pour trouver des défenses de Mammouths. Le temps ici n’est pas passé. Il est resté. C’est nous qui passons. Tatiana, scientifique désabusée, hérite de cette mission. Enfin, de cet ordre. Ça lui apprendra tenir tête à son chef. On l’envoie aux confins de la Yakoutie. Le bout du monde. Seul sera disponible pour l’y emmener Hannibal, un ancien pilote retraité de l’armée soviétique, vantard, foutraque, ivrogne et à moitié sourd, et Neva, une jeune interprète Younet (le dialecte des éleveurs du coin), patineuse, gloire locale, et beauté qui s’ignore. L’aventure tourne à plein régime, tourne mal, tourne bien, mais tourne comme tournent les hélices, les horloges et même la terre, aussi plate soit-elle dans ces contrées. Ces trois-là, que tout sépare, dépare, vont se serrer les coudes. Se réparer. S’apprendre les uns aux autres comme on apprend des épreuves que l’on endure. Dans cette immensité, chaque destin s’écrit à la force de soi-même, et à la mesure de l’amour qu’on accepte d’éprouver. Vivre se prononce : ensemble. C’est une des beautés graves, essentielles, de ce roman burlesque. On est ébloui par la virtuosité de l’écriture, comme les personnages le sont par le reflet du ciel sur la neige. Poésie des espaces. Force des images. Dialogues jubilatoires « Cette fois c’est la bonne, je vais finir entre quatre planches / Il en faut six pour faire une boîte ! ». Ce roman déborde d’amour pour le genre humain. Sur fond blanc, ça se voit encore mieux. Amen.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s